Vertigineux est certainement l'adjectif qui qualifie le mieux le travail de Marc-Antoine Mathieu. Chacun de ses albums est un petit chef-d'oeuvre d'imagination et de trouvailles plus que surprenantes tant sur le fond que sur la forme. Le Décalage est le 6ème volume des aventures de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Ce rêveur impénitent tombe régulièrement de son lit et se retrouve tout aussi régulièrement projeté dans un espace-temps inconnu de tous. Ce matin-là, il ne se réveille pas pour le début de l'histoire, mettant dans l'embarras les personnages secondaires qui se demandent comment sortir de cette situation et errent sans scénario et sans héros dans le désert, "enfermés dans l'infini".
Marc-Antoine Mathieu a bien compris que son médium, la BD, constitue un monde à part entière, possédant ses propres codes. Il en joue constamment. Il joue avec ses personnages et ses décors, bien sûr, mais également avec la technique, avec l'espace- temps, avec le support dans lequel ces personnages évoluent, un support limité par son format, ses cases et sa pagination. C'est ainsi que l'on se retrouve devant une case découpée dans le papier et qui sera la cause d'un rebondissement deux pages plus loin puisque l'image apparaissant dans la découpe s'inscrira dans un contexte différent. Certaines pages sont volontairement déchirées, quelques cases ne contiennent qu'un noir profond d'où émerge parfois un mot blanc, ces mots que l'auteur utilise comme Beckett ou comme Devos, avec un sens de l'absurde rarement égalé. La couverture en couleur surgit presque à la fin du livre, lorsque le héros finit par rejoindre ses acolytes et que l'histoire peut enfin commencer!
Le lecteur va de surprise en surprise, l'esprit chamboulé par un monde dans lequel il perd pied, comme les personnages eux-mêmes dont l'un déclare: " Cette absence de contexte, ce manque de perspective, c'est évident, nous sommes dans le rien..." ou le héros absent, par l'intermédiaire d'un cartouche: "Plus rien n'était écrit... je ressentis soudain un intense flottement existentiel: non seulement il n'y avait plus d'histoire, mais de surcroît j'en étais exclu...". C'est cette non-histoire que nous sommes pourtant en train de lire avec une jubilation sans bornes, comme l'univers de Marc-Antoine Mathieu.
Du grand art. Si l'auteur se défend d'être philosophe, son oeuvre devrait, elle, figurer dans les programmes de philo.!
Bibliographie non-exhaustive:
# L'Origine
# La Qu...
# Le Processus
# Le début de la fin
# La 2,333ième Dimension
# Le dessin
# Dieu en personne
# 3''
# Le dessin
# Dieu en personne
# 3''
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire