Gilbert Léautier est un écrivain discret, pour ne pas dire secret. Il n'est pas de ceux qui hantent les plateaux de télévision pour vendre leur marchandise et donner leur opinion sur tous les sujets. L'inconvénient de cette discrétion dans un monde hyper-médiatisé est que son immense talent n'est pas reconnu, à notre avis, à sa juste valeur.
Né en 1945, il devient très tôt dramaturge et fonde le Théâtre du Béguin à Lyon. A 24 ans il reçoit l'Oscar de la création des mains de Jean Vilar. Il se tourne ensuite vers l'écriture radiophonique et ses pièces sont diffusées, notamment, sur la Radio Suisse-romande. Elles obtiennent en 1986 le prix radio de la SACD. En 1991, malgré une certaine notoriété, il abandonne l'écriture pour se consacrer à la rénovation d'une forteresse du XIIème siècle, le château d'Aujac dans les Cévennes où il vit depuis 1974. Curieusement, lui jusque là très prolixe, dira qu'il avait fait le deuil de l'écriture. En 2007, son éditeur lui propose de rééditer "Pour planter des arbres au jardin des autres. Portraits cévenols". (1982), un volume de textes courts à la fois poèmes, récits, nouvelles et portraits des austères Cévennes et de leurs habitants. Cette réédition décide Gilbert Léautier à reprendre la plume et, en 2008, sort un autre superbe ouvrage dans la veine du premier: "Pouvez-vous prouver que vous n'êtes pas un escargot?" . En 2010, c'est le non moins magnifique "Le repaire du dernier Cévenol" qui vient compléter la trilogie des portraits cévenols, suivi en 2011 d'une étrange nouvelle, "La mort Madame".
L'écriture de Gilbert Léautier est comme son pays, dense, solide, poétique et rythmée par le silence. Ses thèmes font qu'elle dépasse le régionalisme et côtoie l'universel, même si l'écrivain n'hésite pas à employer le langage parlé parfois émaillé de quelques mots en patois. Les phrases sont courtes:
"Assurément, ils ne sont pas causants, les gens d'ici.
Bâiller pour eux, c'est déjà un long discours.
Au maximum de la joie, ils crachent par terre.
Au comble du chagrin, ils hochent la tête.
Donnez-leur dix mots, ils vous en rendent quatre.
Avec eux, vous êtes toujours en déficit d'un silence.
C'est pas le pays des grandes phrases."
Les images sont fortes:
"C'est une route qui a oublié la règle.
Elle a été tracée au serpent."
ou:
"La cheminée, c'est la fenêtre de l'hiver."
L'humour et la tendresse ne sont jamais loin:
"Moi, mes morts se fendent la gueule!
ils ont l'os indiscipliné.
Ils rient à s'enrhumer."
Mais on pourrait citer chaque phrase tant le style est d'une beauté hors du commun.
Le seul défaut de Gilbert Léautier est d'être un écrivain trop rare et même si nous nous adonnons avec joie au plaisir de la relecture, nous attendons à chaque fois avec impatience le prochain livre.
Les ouvrages cités dans l'article sont édités par les éditions Alcide.