mercredi 19 décembre 2012

MUSIQUE. Blues Run The Game. JACKSON C. FRANK. (Castle).

Il y a des accumulations d'événements tragiques qu'un écrivain hésiterait à utiliser dans un même roman au risque d'être accusé  d'en abuser. La vie de Jackson C.Frank dépasse tout ce que cet écrivain, s'il n'avait pas hésité, aurait pu écrire.
Né à Buffalo (État de New York) en 1943, il passe son enfance dans l'Ohio.Très doué pour le chant, il fait partie de la chorale locale. Il a onze ans quand ses parents déménagent à Cheektowaga. A l'école, sa matière préférée est la musique. Les cours sont donnés dans une annexe en bois. Un jour, la chaudière explose, mettant le feu au bâtiment. Dix huit élèves périssent dans les flammes. Jackson en sort vivant mais brûlé aux mains et au visage, il passe sept mois à l'hôpital. Le traumatisme le laisse complètement apathique, il ne retrouve un peu d'espoir que lorsque l'un de ses professeurs lui offre une vieille guitare.Il apprend très vite à jouer. A seize ans il monte un groupe de rock avec l'un de ses copains mais il se passionne pour le folk. Il rencontre John Kay (futur leader de Steppen Wolf) et tous deux se produisent dans les clubs locaux avant de s'aventurer au Canada.
Au début des années 60, Jackson touche les dommages et intérêts qui lui sont dus depuis l'incendie. Il décide de partir en Angleterre où il découvre une scène folk en pleine effervescence. Il se lie d'amitié avec Al Stewart et avec Simon et Garfunkel. Il fait écouter quelques chansons à Paul Simon qui, très impressionné, lui propose d'enregistrer un disque. Ce sera fait en trois heures dans les studios de CBS. Jackson C. Frank est si timide et si nerveux qu'il joue et chante caché par un paravent! Blues Run The Game sera le seul album qu'il enregistrera. Il est reçu avec un enthousiasme peu commun par la communauté folk et John Peel le passe sur la BBC avant d'inviter l'artiste à le jouer en direct dans son émission. Entre temps Jackson a fait la connaissance d'une infirmière aussi timide que lui, et qui aura elle-aussi un destin tragique. Cette infirmière possède une voix extraordinaire, il la pousse à abandonner son métier pour se consacrer à la musique. L'idée est bonne puisque la dame n'est autre que Sandy Denny,qui se fera connaître avec Fairport Convention. On est en 1965 et le couple fréquente tous les artistes qui comptent dans le domaine du folk de l'époque: John Renbourn, Bert Jansch, John Martyn ou Pete Seeger. Jackson aide ceux, nombreux, qui sont plus pauvres que lui. En 1967, il est victime d'une dépression nerveuse. Il devient incapable de se produire sur scène et ne peut plus écrire. De plus, le public folk se tourne  petit à petit  vers la musique psychédélique, seuls quelques artistes très connus surnageront. Jackson utilise l'argent qui lui reste pour rentrer aux États Unis. Sa maison de disques rompt son contrat. Il travaille comme journaliste et donne quelques concerts qui tournent parfois à la catastrophe. Son histoire avec Sandy Denny ayant pris fin, il rencontre une autre femme et se marie. Bientôt un enfant naît. Il commence à remonter la pente quand son fils meurt de maladie. Sa femme le quitte. Il retombe dans une effroyable  dépression. Il essaie de survivre en abusant des médicaments qu'il mélange à l'alcool mais il se rend compte qu'il perd le contrôle de lui-même et demande à être interné en hôpital psychiatrique. En 1975, il réussit pourtant à enregistrer cinq chansons dans un moment de rémission. Il passe d'hôpital en hôpital avant de vivre dans la rue. Il n'est bientôt plus qu'un clochard méconnaissable et presque invalide lorsqu'un fan de folk, Jim Abott, se met en tête de le chercher... et le trouve. Il parvient à lui faire obtenir quelques royalties sur son album qui a été réédité en 1970. L' histoire pourrait s'arrêter là mais le sort en décide autrement. Alors que Jackson est sorti pour prendre l'air, un fou lui tire une balle dans l'oeil gauche. Il parvient à vivre encore quelques années moins difficiles et enregistre quelques titres dans le milieu des années 90 avant de mourir le 3 mars 1999 d'une crise cardiaque, il avait eu 56 ans la veille.
Mais qu'a-t-il de particulier cet album mythique car la vie de Jackson C.Frank n'explique pas tout si ce n'est le côté sombre de ses textes? Tout d'abord son enregistrement est presque un miracle, l' autre miracle est qu'il ne se soit pas perdu dans les limbes de l'oubli mais, avant tout, Blues Run The Game est un véritable chef- d'oeuvre du folk qu'il a révolutionné. Les mélodies sont d'une beauté à couper le souffle, chacune des lumineuses chansons est une pépite intemporelle portée par une voix exceptionnelle, généreuse et profonde. Le jeu de guitare, relativement simple, apporte juste ce qu'il faut, sans fioritures inutiles, le tout est minimaliste sans jamais paraître pauvre et touche directement au coeur. Les confrères de Jackson C. Frank ne s'y sont pas trompés, rares sont ceux qui n'ont pas repris avec plus ou moins de bonheur l'une de ses chansons. Citons parmi les réussites les reprises de Simon et Garfunkel, John Renbourn, Bert Jansch, Nike Drake, Sandy Denny et Johan Asherton.
Nous vous conseillons de vous procurer de préférence l'édition Blues Run The Game. Expanded Deluxe Edition (Castle) qui comprend l'album originel, les cinq titres enregistrés en 1975, ceux enregistrés dans les années 90 et quelques enregistrements saisis lorsque Jackson n'avait que 17 ans.

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